« En réunissant quelques documents propres à évoquer les aspects de l’apostolat « pro organo » qui fut celui du Comte Béranger de Miramon Fitz-James, je tombais sur la dédicace de l’exemplaire de luxe des Dix années au Service de l’orgue fran-çais qu’il m’offrit en 1937. En relisant les trois lignes portant la dédicace, la date et la signature, d’une écriture ferme, imposant chaque mot avec élégance sans rudesse, je n’eus guère besoin d’autre chose pour me remémorer le contenu des nombreuses lettres, de nos non moins nombreux entretiens, et l’inoubliable période où notre cher président fondateur a été le meilleur propagateur de l’Art de l’Orgue en France.
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Au début de cet hommage, dont a bien voulu me charger mon ami Norbert Dufourcq, il est opportun d’évoquer quelque peu la vie de celui dont toutes les activités témoignèrent de la noblesse de son caractère et de son dévouement aux de désirs les plus exigeants. Né en 1875 à Vesoul, où son père appartenait à la garnison comme capitaine. B. de Miramon fit ses études au collège Stanislas, à Paris, puis au collège Saint-Joseph, à Avignon. Après avoir passé par l’Ecole militaire de Saint-Maixent, il fut en garnison à Aix-en-Provence et à Compiègne, mais quitta la carrière des armes peu après. Marié en 1907 avec Mlle Normand, fille du poète et écrivain Jacques Normand, le futur fondateur des Amis de l’Orgue ne manqua pas d’installer, en le coquet petit hôtel de la rue Dumont-d’Urville, un orgue Cavaillé-Coll-Mutin, fort joliment harmonisé, en un charmant buffet. C’est là que je fis connaissance avec notre ami, qui n’était pas moins accueillant à la musique de chambre et aux jeunes artistes, dont il aimait s’entourer. On ne s’étonnera pas que, parti au front en 1911, comme lieutenant, B. de Miramon soit chef de bataillon à la fin de la guerre et chevalier de la Légion d’honneur, avec les citations que nous pouvons deviner.
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L'orgue Mutin-Cavaillé-Coll du comte de Miramon (collection Robert Martin)
A peine démobilisé, il se consacra à différentes oeuvres : Société chorale « la Cantoria », Union civique pour le placement des chômeurs, Association Valentin Hauy, etc… Enfin, ce fut en 1926 la société des « Amis de l’orgue » à laquelle il apporta le meilleur de lui-même et des sacrifices de temps et d’argent qu’il prodigua sans défaillance jusqu’au bout.
On peut dire que les tribunes d’orgue sont, en quelque sorte, les salons des organistes, car l’idée de la fondation de la société prit naissance autour de la console d’André Marchal à Saint-Germain-des-Prés, au cours d’une conversa-tion entre le futur président et Norbert Dufourcq qui devait devenir son infati-gable alter ego. Et, peu à peu, de tous côtés, l’action s’engagea, se précisa, les patronages les plus éminents, les témoignages d’approbation favorisèrent les éléments de départ. Les orgues d’église, de concert et de studio furent mises à la disposition des Amis de l’orgue, non seulement pour faire entendre leurs titulaires, mais aussi leurs confrères français ou étrangers. Le bulletin des Amis de l’orgue, organe de liaison indispensable, aux modestes dimensions au début, ne tarda pas à s’amplifier et à se revêtir d’une couverture protectrice digne des revues les plus notoires.
Le public de plus en plus fidèle apprit vite à prendre le che-min des sanctuaires d’orgues, sacrés ou profanes, et il serait fasti-dieux de les énumérer, tant pour Paris que pour la province, voire pour l’étranger. On y entendit les organistes qui témoignèrent de la valeur et de la vitalité de l’école française, tout en accueillant nos plus éminents confrères de l’étranger.
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Nous ne pouvons citer tous ces lieux de pèlerinage, mais faisons exception pour celui qui nous tient d’autant plus à coeur qu’il n’est plus : la salle d’orgue du boulevard Maillot dans le beau cadre duquel se maintenaient les traditions de la meilleure compagnie, que l’on trouve de moins en moins aujourd’hui. Il faut rappeler combien M et Mme Jacques Normand apportaient à ces réunions une affabilité inoubliable que l’on ne saurait séparer de l’accueil du président des Amis de l’orgue et de Mme de Miramon.
L'orgue Victor Gonzalez du comte de Miramon dans son hôtel particulier
Suivant un destin quasi-inévitable, qui veut qu’après une existence profane, les orgues de salon fassent une bonne fin en quelque église, le bel instrument de Gonzalez quitta, en 1948, le boulevard Maillot pour l’abbaye de Sainte-Scholastique de Dourgne, dans le Tarn.
L'orgue Victor Gonzalez du comte de Miramon
à l'abbaye Sainte-Scholastique de Dourgne
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Pour rallier les amateurs de musique peu initiés à l’art de l’orgue et à sa facture, les Amis de l’Orgue organisèrent des conférences promenades avec auditions données sur les instru-ments anciens ou contemporains les plus réputés. Mais un effort nouveau devait parachever la raison d’être de la Société par l’organisation de concours d’exécution et d’improvisation, d’une part, de concours de compositions d’orgue, d’autre part. Les épreuves exigées pour les premiers dépassaient en difficulté celles du Conservatoire de Paris, qui sont cependant au-dessus de toutes les épreuves des écoles étrangères. Nos meilleurs organistes actuels en ont bénéficié pour leur carrière.
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N’oublions pas, non plus, le chapitre de la bienfaisance qu’il est séant de mentionner, mais non d’en divulguer les actes. Les Amis de l’orgue savaient bien quel cruel contraste existe entre les gains démesurés totalisés par certains genres de musique et les difficultés croissantes de la carrière d’organiste, dont les gains sont parfois inférieurs à ce qu’ils étaient au temps du franc-or.
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La dernière guerre interrompit ce bel essor et des raisons de santé obligèrent M et Mme de Miramon à faire en Suisse un séjour prolongé. L’hôtel du boulevard Maillot fut occupé et quelque peu malmené par nos ennemis et par nos alliés. A cette époque, notre président se ressentait déjà de la sclérose pulmo-naire qui le condamna peu à peu à une existence recluse. Infatigable cependant, il travaillait toujours en la petite chambre où ses nombreux amis venaient le voir, s’étonnant de son entrain et des propos alertes exprimés d’une voix fort peu valétudinaire. Rien ne lui échappa de l’activité des Amis de l’orgue, jusqu’au 28 janvier 1952 où il nous quitta dans sa soixante-dix-septième année.
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Au cours de ses obsèques célébrées à Saint-Pierre de Neuilly, on chanta, selon son désir, une messe en plain-chant, pieusement interprétée par la chorale de l’institut grégorien sous la direction de Le Guennant. Aux claviers alternèrent Marchal, Meugé titulaire de l’orgue, et moi-même. Jacqueline Cellier chanta, à l’absoute, le Pie Jesu du Requiem de Fauré, cher à nos coeurs et à notre sensibilité de Français.
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L’oeuvre de B. de Miramon lui survit, grâce à la fidélité de sa famille et sous la présidence d’Henri de Miramon. Il est superflu de parler de la constance infatigable de Norbert Dufourcq et de bien d’autres. Mais il faut aussi, plus que jamais, que les organistes eux-mêmes, qui doivent tant aux « Amis de l’orgue », comprennent de plus en plus ce qu’ils doivent à son fondateur et collaborent de leur mieux à la continuation et à l’expansion d’une oeuvre ingrate et désintéressée, s’il en fut.
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Quant à moi, je tiens à terminer en disant combien, l’Ami de l’orgue, s’il en fut, m’honora d’une amitié sans égale, manifestée par l’aide la plus constante et la plus affectueuse: mais ce sont les inoubliables souvenirs qu’il laisse à tous qui constituent le meilleur de ce qu’il nous lègue. »
Alex. Cellier.
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« P.S. Nous croyons devoir donner ici un aperçu succinct de l’oeuvre de celui dont la culture raffinée, la sensibilité et l’esprit nous valurent de précieuses études, de charmantes conférences, des pièces de théâtre. En bon Français, il cultivait l’humour et, tant en sa mémoire que dans un sottisier des plus riches, il puisait volontiers pour s’esjouir entre amis.
Œuvres littéraires : Paganini à Marseille - Etude sur Franz Liszt et la Divine Comédie - Etudes sur Emmanuel Chabrier. Pièces de Théâtre : « Au pays de la chanson » avec musique de Marcel Tournier, etc... Membre de l’Académie de Marseille (section des Beaux-Arts) dont il devint directeur en 1943, il rédigea pour cette société une communication publiée sur Edmond Audran. »
Source : (L’orgue 83 pp. 11 – 13)
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